Blog

Trail Sainte-Victoire - Les Crêtes

Dimanche 8 avril, j’ai pris le départ du Trail Sainte-Victoire près d’Aix-en-Provence. Une course trail de 60km et 3000D+  que j’attendais avec impatience, m’étant beaucoup préparée pour atteindre l’objectif. Cette course devait marquer mon entrée dans le monde des trails longs. Cependant, cette course m’aura surtout appris l’humilité et l’écoute de son corps. Du dépassement de soi à l’envie d’une revanche, je reviens sur cette journée épique étape par étape.

Sans suspens, je n’ai pas fini cette course. Vous le savez déjà si vous me suivez sur les réseaux, il m’aura fallu quelques jours pour digérer ce que j’ai, au début, considéré comme un échec. C’est une déception de s’entraîner si dur et de voir tout voler en éclat à cause d’une mauvaise chute. Pour autant, c’est le jeu … dans tous sports et encore plus en trail où la difficulté technique du terrain le rend encore plus difficile.

Malgré mon entorse et mes quelques lésions musculaires, c’est avec un certain bonheur que je vous rends compte de mon expérience sur ce trail. Un condensé d’émotions.

Courir les Crêtes du Trail Sainte-Victoire

5h15 : le réveil sonne. Ça fait déjà une demie-heure que je suis réveillée et que je ne bouge pas. Je visualise cette journée, les difficultés, l’arrivée. Cette course, je l’ai dans la peau. J’ai hâte d’en découdre, de me prouver que je peux passer ce cap du trail long. Alors j’y pense, je m’y vois. Je me lève.

6h20 : mes parents nous attendent dans la voiture. Nous venons de prendre notre petit-déjeuner entre silences et rires nerveux. Nos sacs sont prêts, Camille a demandé 3 fois à Rémi s’il avait telle ou telle chose. J’ai changé pour un haut manches longues sur conseil de ce dernier. J’ai peur et je suis surexcitée à la fois, ce mélange d’émotions qui annonce une belle course.

Trail Sainte Victoire

6h30 : déchargement express des trois traileurs en herbe. Ou plutôt des deux traileuses en herbe que nous sommes avec Camille, et son accompagnateur expert. Un dernier verre d’eau, un dernier tour aux toilettes. Une inspiration, deux blagues et GOOOOO ! Un discours à moitié entendu et une gueulante dans le micro en guise de coup de feu de départ.

07h02 : un peu de goudron avant le single qui bouchonne. Je suis encore avec Camille et Rémi, je les perdrais petit à petit. Nous n’avions pas prévu de faire notre course ensemble. Elle avait Rémi, j’avais ma tête et ma musique. Quelques petites montées nous mettent en jambe, et un long parcours vallonné entre vignes et lever de soleil.

Trail Sainte Victoire

08h20 : j’arrive au premier ravito, tout sourire. Je vois mes parents au loin. Ma mère fait des bonds les larmes aux yeux, mon père a un grand sourire. Je suis plus que bien, je n’ai pas soif, je ne m’arrête pas.

Les sentiers vallonnés continuent, nous menant petit à petit au pied de la Sainte-Victoire, ce mur de pierre. Le paysage est sublime avec cette lumière de lever de soleil ; une explosion de joie se fait en moi. Cette course, c’est ma course, je ne lâcherais rien !

Trail Sainte Victoire

9h24 : on s’attaque aux choses sérieuses. Les kilomètres s’enchaînent à la verticale. Cerise sur le gâteau : le pas du Clapier, ou la session d’escalade improvisée. La femme devant moi prend peur, et trois valeureux traileurs se chargent de l’accompagner dans cette ascension. Je suis derrière, en attendant patiemment.

9h32: je viens de glisser sur un éboulis de petits cailloux. L’espace d’une seconde, j’ai cru me retrouver tout en bas. Heureusement, j’ai réussi à me rattraper. Je ferme les yeux un instant, j’inspire. « Tout ira bien Camille, tout va bien, tu peux le faire ». J’expire, j’ouvre les yeux et continue mon ascension avec les bourrasques du vent qui se font de plus en plus fortes.

9h55 : les bourrasques de vent sont très fortes, il faut se concentrer sur chaque appui, ne pas rentrer dans les fesses du précédent, ne pas envoyer un petit caillou dans la tête du suivant. Je relève la tête, et je vois les secouristes qui aident au dernier passage avant les crêtes. Le vent est fou, la vue tout autant. J’échange un mot avec la femme qui était devant moi tout le long et je repars aussi sec. La course est difficile, entre le vent et le terrain rocailleux, il ne faut pas se rater sous peine de se « faire une cheville ».

10h33: je viens de dépasser 22km et environ 1000D+  à ma montre, les chemins vallonnés sont de retour, et je guette l’arrivée dans le village de Vauvenargues. Je suis à l’aise sur la barrière horaire avec environ une heure d’avance, mais j’ai très envie de retrouver mes parents au ravitaillement. Et puis surprise, je croise mon père, qui a remonté le parcours depuis le ravito pour essayer de me trouver. On échange un peu, je lui dis que c’était difficile là-haut avec le vent, mais que je suis fraîche, que je me sens bien. Nous courons les dernières centaines de mètres ensemble, accueillis par les cris de ma mère qui me tanne sur mon sens de l’orientation.

Je suis vraiment contente de ce que je fais. Je profite du ravito pour remplir mes petites gourdes, et j’écoute mon père en essayant de manger. Tucs et fromage me font de l’œil au bout de la table, et je mange ce qui me fait envie seulement.

[gallery ids="3124,3120" type="rectangular"]

Je repars assez rapidement pour enchaîner sur la deuxième difficulté du parcours : environ 15km et 1500D+ !

Je cours autant que possible dans le single qui monte et descend sans arrêts. Je suis dans un  bon rythme de croisière, à l’abri du vent dans les sous-bois. Je regarde peu ma montre.

12h45 : je suis à nouveau sur les crêtes. Le vent est dingue. Il me terrorise, j’ai peur de me faire emporter, je suis au bord des larmes à chaque bourrasque. Mais je sers les dents, et je me répète la même litanie à voix haute « tout va bien Camille, tu peux le faire ». Je croise souvent les mêmes coureurs, ça me motive à garder la distance.

[gallery ids="3123,3121" type="rectangular"]

A chaque bénévole croisé, je demande si on est au Pic des Mouches. Je sais que c’est le dernier point haut avant la descente, et j’ai vraiment hâte de l’atteindre ; les bourrasques sont toujours aussi intenables, tant par le bruit que la mobilisation qu’elles entraînent. On arrive enfin à une brêche, qui annonce une descente … dans ce que je considère comme un ravin !! Dans la descente, je suis accueillie par une bénévole géniale qui m’indique le chemin à faire pour remonter, et qui me rappelle de garder le sourire devant ma figure déconfite. Je pense à ma Solène, et le sourire me revient malgré la peur.

La remontée attaque aussi sec, pour revenir sur la fin des crêtes puis, enfin, la descente !

13h27 : La descente était vraiment technique, mais principalement à l’abri du vent. J’ai beaucoup plus regardé mes pieds que le paysage, le vent m’a fatigué, je ne veux pas me louper. Puis le chemin devient plus roulant et j’en profite pour accélérer un peu … jusqu’à que mon pied gauche traînant rencontre une racine. Je vole en avant et je sens mon mollet gauche se contracter violemment. J’ai peur de m’être blessée, je crois que j’ai mal, je viens de hurler. Le participant qui me suit à quelques minutes me retrouve au sol et m’aide à me relever. Mon genou gauche saigne un peu, et sur ses conseils, je vérifie que je peux toujours plier la jambe sans douleurs. Tout semble aller, je reprends le chemin pour rejoindre mes parents au Col des Portes. J’en profite pour m’arrêter, constater les dégâts, prendre un mouchoir pour essuyer le sang, et refaire mes lacets. Tous les feux semblent être au vert, je repars en petites foulées.

13h45 : au ravitaillement en eau, je vais pour repartir quand j’entends mon nom. Je me retourne et je vois Rémi et Camille qui arrive. Je les attends quelques minutes pour repartir avec eux. On partage nos impressions, je raconte rapidement ma chute. Petit à petit, j’ai des mauvaises sensations dans mon pied droit ; j’ai l’impression de ne plus le sentir. Je sens des fourmis dans mon mollet droit, je pense que je suis prête à cramper, alors je bois beaucoup sur les conseils de Rémi.

Sur ses conseils, on alterne marche et course avec Camille pour éviter de faire monter les lactiques (apparemment, ça marche, ne m’en demander pas plus !). On arrive enfin à l’oratoire, qui signe la dernière descente avant la prochaine barrière horaire … de laquelle on se rapproche dangereusement.

Trail Sainte-Victoire

14h18 : On essaye tant bien que mal d’accélérer dans la descente qui est très technique. Le vent est de retour, les appuis plus incertains. On retient quelques glissades, mais mes appuis se font de plus en plus difficilement sur la jambe droite. Cependant, je serre encore une fois les dents et je garde juste l’objectif « barrière horaire » en tête.

14h28 : le chemin devient enfin roulant ! Il nous reste moins de deux minutes pour cette fichue barrière horaire. Avec Camille, on peste, on lutte … Des escaliers, du goudron, vite il faut accélérer. J’ai un regain d’énergie dont je ne me croyais pas capable et j’accélère à grandes foulées en criant « Allez Cam, lâche rien ! ». Je vois le passage, je regarde ma montre, une dernière enjambée … On a passé la barrière horaire de justesse, on est bons !

14h31 : mes parents sont arrivés en courant pour nous rejoindre au ravito. J’ai besoin d’un regain d’énergie, mais j’ai à peine le temps de remplir à nouveau mes gourdes et dire deux mots à mes parents, que je vois Camille qui s’éloigne. Rémi me rassure en me disant que l’on va la rattraper. J’ai un coup de moins bien, mes douleurs se font de plus en plus présentes, mais j’essaie de boire et de bien respirer pour oxygéner mes muscles. Je me convaincs que tout ira bien encore une fois.

Un petit passage sur les trottoirs de Puyloubier et on s’enfonce à nouveau sur les sentiers et les bordures de vignes. En plus de mon pied et mon mollet, ma hanche droite commence à me tirer de plus en plus. Je le dis à Rémi qui me voit peiner derrière pour tenir l’allure. Je serre les dents encore. Je respire. Inspire, expire. Inspire … « Putain j’ai mal ». Je continue à trotter, ça va passer, tout ira bien, ça va passer.

14h55 : la douleur ne cesse de grandir, mon visage se ferme, et je vois bien Rémi qui me lance des regards inquiets. Je boîte en courant, je boîte en marchant. Mais je veux continuer. Il laisse Camille prendre de l’avance pour m’attendre un peu et me demander comment je me sens. Il me propose un doliprane que je prends. Quelques minutes plus tard, à une énième demande sur ma douleur, j’éclate en sanglots. J’ai mal, j’ai trop mal, je ne peux plus tenir. La douleur me scinde tout le côté droit, je peine à marcher seulement. Je ne veux pas abandonner, Rémi tente de me raisonner. Je lui demande d’attraper mon téléphone dans mon sac pour appeler mes parents.

15h06 : au son de la voix de ma mère, je pleure de plus belle. Je lui dis que j’ai mal, vraiment mal, que j’en peux plus. L’évidence apparaît : il faut que je m’arrête. Ça me déchire le cœur. Je crois que sur l’instant je préférerais devenir unijambiste et finir cette course. Gentiment, Rémi me console, et rebrousse chemin avec moi pour me montrer un sentier qui coupe vers la route qu’il avait déjà repérer.

15h10 : j’arrive sur une petite route qui doit mener à un parking repéré sur Google Maps, d’où mes parents me rapatrieront. J’appelle Solène, il y a trop de vent, trop de pleurs, mais j’entends qu’elle est fière de moi.

Arrivée sur le parking, je m’assois tant bien que mal au pied d’un arbre. L’instant d’après, deux bénévoles arrivent et s’occupent de suite de moi : couverture, veste et mots attentionnés. Je lutte pour ne pas pleurer à nouveau. La course est finie pour moi.

J’attendrais ensuite l’arrivée de Camille et Rémi, d’abord au dernier ravito où je les aperçois à peine, puis à l’arrivée. Quelques heures d’attente dans la voiture, la salle des fêtes, puis dehors à les guetter pour enfin me réjouir de leur hola d’arrivée en bons derniers.

J’aurais sûrement oublié un million de détails, mais j’espère vous avoir fait revivre ma course au mieux. Et si vous voulez un jour vous attaquez aussi à cette montagne, ne perdez pas de vue la réelle technicité du terrain ;-)

Trail Sainte Victoire

Gérer la déception d’un arrêt forcé de course

Déçue, c’est bien le mot. Outre la chute, j’avais de bonnes sensations ; je réussissais à m’alimenter et à boire correctement, je n’avais pas de crampes, pas de grosse fatigue musculaire et surtout j’avais la pêche au mental (nouvelle expression) malgré 8h de course. J’ai culpabilisé d’avoir mal, de ne pas finir « coûte que coûte ». J’ai culpabilisé de ne pas finir cette course, de réaliser cette arrivée que j’avais tant visualisé. J’étais triste.

Puis j’ai eu les mots réconfortants de mes proches, de mes amis, d’autres sportifs, des bénévoles. La santé prévaut à une course, aussi idéalisée soit-elle. Finir c’est bien, mais donner tout ce qu’on avait à donner c’est mieux. J’ai poussé jusqu’au bout de moi-même en préservant ma santé.

J’ai déjà réalisé un exploit en soit : 42km et 2500D+ env. , ma plus longue distance, mon plus grand dénivelé cumulé. Et ce dont je dois être fière aujourd’hui. Je prendrais ma « revanche », je retournais sur la Sainte-Victoire, mais je n’en ferais pas une obsession. D’autres courses tout aussi belles et techniques s’annoncent, et je compte bien en courir quelques-unes.

Toujours avec plaisir, toujours avec le sourire, pour …

(Par)courir le monde autrement !

Camille CourtenVert de Visit and Run